mardi 4 mai 2010

Le lai d'Isaïe

Une petite histoire, un lai, peut-être pas pour les enfants. J'espère qu'elle vous plaira, ne vous laissez pas rebuter par la forme.
Isaïe
la petite paysanne brune aime les framboises sauvages
il fait beau aujourd’hui l’aube veine le ciel déjà la brume mauve
monte du sol s’accroche aux frondaisons des chênes de la forêt
se répand dans les ramages aveugle les oiseaux
qui commencent tout juste de chanter

Isaïe court sur le sentelet fraîche heureuse matinale chante doucement
qu’elle aime les framboises mouillées de rosée
qu’elle aime les bois les matins pleins de brumes
les fleurs les écureuils et les oiseaux

les oiseaux les framboises les fleurs les écureuils chantent doucement
qu’ils aiment Isaïe la forêt la vie les brumes quand le soleil les chatouille y tente des percées
s’y réfracte et s’y décompose

la feuille l’amie du jour
Isaïe l’amie du jour le pinson
son chant dodécaphonique façon Schoenberg
la petite paysanne
Isaïe
court et chantonne le long d’un ruisselet
eau vive cristalline claire bleue pleine
de têtards de menus poissons dorés
ruisselet
qui galope
parmi les pierres et les mousses

soudain elle s’arrête
que voit-elle
elle n’a pas peur ce n’est pas un sanglier ni même une grosse araignée
mais que voit-elle donc
alors
une petite une toute petite fleur
mauve et or
une petite fleur fragile mais si jolie
petite tête violette posée sur un cou si frêle gracile
vert comme il sied
elle s’arrête
de courir de chanter de penser
elle se perd en contemplation oublie
s’oublie
s’éblouit qu’elle est belle
qu’elles sont belles
frêles
elle repart grosse de rêves chantonnante divaguante
elle a une amie une fleur un trésor

le soir elle s’endort pensant à sa fleur
le matin elle se lève
hâtive de la retrouver impatiente
elle trottine sur les sentiers néglige l’écureuil
et les rayons roses du soleil
son monde est une fleur

elles grandissent jour après jour
elles deviennent filles
Isaïe mène maintenant vie de fille
vie d’émois d’amourettes déçues décevantes de cachotteries
sa fleur écoute ses confidences comment untel est beau comme un cœur
comment la maîtresse est méchante comment ses autres amies sont cruelles
toutes nattées de blond bêtes comme des balais
elle a redécouvert l’écureuil la forêt le soleil dans la brume les ramages et les framboises
elle lui rapporte tous les potins des bois
invente des nymphes et des Ariel
lui conte les histoires de fées de sorcières
qu’on lui raconte à la veillée
les lacs mystérieux qui abritent des îles où le temps est suspendu
où des femmes évanescentes diaboliquement belles tordent leurs cheveux verts
font de beaux chevaliers des hommes objets
elle lui raconte les lais de Marie
les merveilles de la Bretagne les Merlins et les dolmens
les cygnes
les rose et Brocéliande

pourtant
un jour un matin pour être précis
un chevalier vient à passer
par cet endroit perdu de la forêt
à l’heure où Isaïe dévale les sentelets
pressée d’aller conter fleurette à sa fleur
et il voit Isaïe et il tombe amoureux
raide

discrètement
demandant à son cheval de trotter sur des œufs
il la suit
émerveillé
de tant de beauté de tant de fraîcheur
c’est le plus bel ornement de ces bois
l’Ophélie et ses lys
le chevalier est éperdument amoureux
il perd le sommeil
l’appétit
néglige son faucon la veuve et l’orphelin les belles de la cour
évidemment
il est fils de roi
c’est couru c’est un lai
c’est un prince

il perd la santé
pire
écrit des poèmes
aux accents nervaliens
sa seule étoile est morte

le roi
son père
s’inquiète de tant de langueur
organise des chasses des tournois lui abandonne ses plus belles courtisanes
et même les plus vicieuses
rien n’y fait
à la chasse il rêve
aux tournois il est démonté par des chevaliers de troisième zone
les concubines les plus expertes les plus coquines ne parviennent pas à ranimer sa flamme
il dépérit
et chaque matin levé à l’aube il court la forêt
son luth constellé sous le bras
contempler les belles au bord du ruisselet perdu au fond de la forêt

un matin
cependant
il prend une grave une grande décision
aujourd’hui je me déclare ça ne peux plus durer
et il s’ablutionne longuement
se lisse les cheveux se parfume de gentiane
enfile ses plus beaux atours
sa cape brodée de fils d’or ses brodequins ornés d’émeraudes son heaume surmonté d’une
plume d’autruche
pare son cheval le fait beau le parfume de jasmin
emprunte Durendale au roi
la brique la laque la brille
afin d’impressionner la belle paysanne brune
puis
le port altier le menton haut les yeux en feu
il s’en va dans la forêt
je ne peux pas arriver les mains vides
ça la fait pas
me déclarer sans rien offrir
ça n’est pas galant
je vais lui faire un joli bouquet de fleurs de forêt
quelque chose de simple
de sensible
qui la touchera
c’est une femme elle aime les fleurs
et je vais lui offrir la plus belle des fleurs
la reine de la composition sa fleur

elle va rougir elle va être adorable
rouge et brune
puis je lui déclamerai mes poèmes mes nuits
mes chants de Maldoror
elle va adorer
elle sera ma princesse
ma petite paysanne
ma sylphide ma nymphe ma

il approche du ruisselet
se redresse encore
en route il a cueilli quelques fleurs
des violettes et des bleuets
du mimosa de la bruyère
la voilà la belle fleur
voici de quoi conclure mon bouquet
il s’abaisse vers elle
puis d’une main délicate doucement tendrement
il la détache de sa tige
et s’apprête à la mettre au cœur de son bouquet
mais les pétales se rétractent
l’iris tourne cosaque
elle se rabougrit se dessèche
et tombe en poussière à ses pieds
en petit tas doré et mauve

tant pis

ses violettes son mimosa ses bleuets et sa bruyère
font déjà un bouquet très présentable
il ne reste plus qu’à attendre
attendre la petite paysanne brune
les minutes se mettent à passer puis se fondent en heures
2 heures puis 3 puis 4
que fait-elle
a-t-elle manqué son bus
a-t-elle été retenue
un agneau un veau est-il né
5 puis 6
il s’inquiète tourne en rond
pense à s’enquérir à l’ospital
pense à l’accident pense à la mort
puis il évacue tout ça
elle aura été retardée voilà tout
7 puis 8 la pénombre tombe rapidement suivie par l’ombre
elle ne viendra plus aujourd’hui
elle n’a pas pu venir elle viendra
demain
je reviendrai demain un autre bouquet à la main
d’autres nuits d’autres chants
et ma déclaration et mes cheveux lissés et ma plume d’autruche et mon fringant destrier

et il repart reprend le chemin du château
et là
sur le sentier
au milieu du sentier
la nuque baignant dans le frais cresson bleu
étendue dans l’herbe sous la nue
pâle dans son lit vert
la petite paysanne brune
Isaïe
dort d’un sommeil de gisant
pâle morte et seule

10 commentaires:

Agnès a dit…

j'adore!!!!!!!!

Finie Ramos a dit…

i used google translation to translate it..

it's lovely!

Aurora a dit…

c'est super génial. J'adore ton blog!

Marie-Pierre Emorine - Illustratrice Jeunesse a dit…

et bien dis-donc.... ce n'est plus une histoire, mais un vrai roman... je suis scotchée. Tu écris comme tu dessines, plein de poésie

Pierre a dit…

lyrique, touchant, terrible avec des touchettes deuxième degré anachroniques ("ça la fait pas" !!)... très doué l'ami... après l'éternel "Lady Lay" de Pierre Grocolas, on a trouvé notre "Lord Lai"... ;-)

Nicolas Gouny a dit…

Merci Agnès ^^

Thank you Ramos, I can't stand to see what google makes with my poem ^^

Merci Aurora :)

Merci Marie-Pierre, j'en ai plusieurs du même acabit, je m'amuse à écrire cela, en me laissant porter, mais je ne vois pas bien quoi en faire ^^

Merci Péo :) (Pierre Grocolas, pffff... c'était pas le type des chiffres et des lettres ?)

chicoumi a dit…

Effectivement, c'est un roman :)
C'est beau touchant et plein de poésie que tu sais aussi bien retranscrire en image qu'en texte. félicitation

Nicolas Gouny a dit…

Merci Clothilde, j'aime cet exercice, je devrai m'y livrer plus souvent, et travailler ^^

katou a dit…

Trop fun!!
Vraiment...même si effectivement à mon goût ce n'est pas pour les enfants...mais c'est sacrément innovant etje verrai bien cette histoire dans un recueil pour adultes.
En tout cas, si aux premières lignes on aurait tendance à décrocher vite vite on se laisse emporter tant cela fourmille de mots, de détails comme dans tes images; d'ailleurs on imagine aisément derrière les mots ton univers illustré!
Continue d'écrire....et allez moi je dis :un p"'tit recueil en feuilles!

Nicolas Gouny a dit…

j'y pense Katou, d'ailleurs, j'en ai plusieurs du même tonneau :)